Loin de chercher à minimiser les fonctions éminentes et les prestigieuses prérogatives de nos diplomates à Moscou, il nous semblerait cependant quelque peu aventureux d’imaginer qu’un ambassadeur de France fût aujourd’hui en mesure de renverser l’actuel occupant du Kremlin et de faire nommer à sa place quelqu’un de plus agréable à ses supérieurs du quai d’Orsay. Au XVIIIe siècle, au contraire, un tel projet n’avait rien de chimérique, tant les représentants des cours étrangères étaient partie prenante dans les querelles de succession qui agitèrent à de nombreuses reprises le trône de Russie. C’est ainsi que le ministre plénipotentiaire de Louis XV à Saint-Pétersbourg fut conduit à jouer un rôle déterminant dans l’avènement de l’impératrice Elisabeth Ire, en décembre 1741…
La mort de Pierre le Grand, en 1725, avait entraîné une période d’instabilité. Les personnages les plus importants de l’Empire, anciens boyards et nouveaux dignitaires de la Cour, rigoureusement contrôlés jusqu’alors par le tsar défunt, se divisèrent à nouveau en factions qui se disputaient les prébendes les plus avantageuses. Or, comme il n’existait pas en Russie de règle incontestée de dévolution de la couronne comparable à la loi salique, chaque changement de règne donnait lieu à un déchaînement d’intrigues. En quelques années se succédèrent Catherine Ière (1725-1727), Pierre II (1727-1730), Anne Ière (1730-1740) et enfin un nourrisson, Ivan VI, à partir de 1740. Sa mère, Anna Leopoldovna, se fait attribuer la Régence en éliminant le tout-puissant favori de la tsarine Anne, Ernst von Biron. La nouvelle régente, née de Mecklenburg-Schwerin, s’appuie sur un « parti allemand » constitué notamment du feld-maréchal Burckhardt von Münnich et du vice-chancelier André Osterman, responsable des affaires étrangères.
Les relations de la France et de la Russie étaient singulièrement tendues. En raison d’un point de protocole d’abord : la France, encore dédaigneuse à l’égard de l’ancienne Moscovie, ne pouvait se résoudre à reconnaître le titre impérial des souverains russes, de crainte d’entraîner un bouleversement des préséances en Europe, préjudiciable à sa propre position. Surtout, les systèmes d’alliance européens restaient fondés sur la rivalité ancestrale de la France et de l’Autriche. […]
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